Italo Calvino Si par un nuit d’hiver un voyageur

Points roman

Sur le tapis de feuille éclairée par la lune p. 214

Comme elle s’inclinait, je vis sur sa nuque, restée à découvert en dessous des cheveus relevés, un fin duvet noir qui semblait se poursuivre le long de l’échine. Je concentrais mon attention dans ce regard, lorsque je sentis sur moi la pupille immobile de M. Okeda qui m’observait. Il avait sûrement compris que j’étais en train d’exercer sur la nuque de sa fille ma capacité à isoler des sensations. Je ne détournai pas le regard, soit que l’impression causée par la vue de ce duvet tendre sur la peau claire se fût emparée de moi de façon impérieuse, soit parce que M. Okeda, à qui il eût été facile d’attirer ailleurs mon attention par une phrase quelconque, ne le fit pas. Au reste, Makiko eut rapidement fait de servir le thé et se releva. Je fixai un grain de beauté qu’elle avait au-dessus de la lèvre, à gauche, et qui me restitua quelque chose de la sensation précédente, mais en plus faible. Makiko me regarda, légérement troublée, puis baissa les yeux.

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