Le livre de poche p.130
C‘était un péché, un adultère et, il y a peu de temps, il se serait plutôt fait tuer que de commettre cette faute. Et maintenant c’était déjà la deuxième femme qu’il attendait et sa conscience restait muette et tranquille. C’est-à-dire, elle n’était peut-être pas tranquille tout de même, mais ce n’était pas à cause de l’adultère et de la luxure que son âme était parfois inquiète et lourde. C’était quelque chose d’autre à quoi il ne pouvait donner un nom. C’était le sentiment d’une faute qu’on n’a pas commise, mais apportée au monde avec soi. C’était peut-être ça qui s’appelait péché originel en théologie ? Possible. Oui, la vie portait en elle quelque chose de criminel ; autrement comment un être aussi pur et aussi sage que Narcisse se serait-il soumis à des exercices d’expiation comme un condamné ? Ou bien comment aurait-il pu lui Goldmund, garder quelque part, dans les profondeurs, le sentiment de cette faute ? N’était-il donc pas heureux ? N’était-il pas jeune, plein de santé, n’était-il pas libre comme l’oiseau dans les airs ? Les femmes ne l’aimaient-elles pas ? N’était-ce pas beau de sentir qu’il pouvait, comme amant, donner à une femme la même jouissance profonde qu’il éprouvait d’elle ? Pourquoi, dans son jeune bonheur tout comme dans la sagesse et dans la vertu de Narcisse, cette curieuse douleur, cette légère angoisse, cette plainte sur l’instabilité du bonheur pouvait-elle se glisser parfois ?